S’amuser avec style et technique

Dans le 4 Temps, qui est en cours de développement technique, vous aurez l’occasion de rencontrer certains danseurs qui prétendent considérer la technique comme superflue. Ce rejet de codes techniques est souvent dissimulé derrière l’excuse « c’est mon style ». Ce comportement n’est pas sans rappeler l'effet Dunning-Kruger (Page Wikipedia) qui concerne les personnes n’ayant pas dépassé un certain seuil de compétences et ayant l'impression de pouvoir déjà tout faire, juste parce qu'elles ne sont pas conscientes de la quantité d’aptitudes qu'il serait encore possible d’acquérir.

Pourtant, d’une part, maîtriser la technique permet de s'amuser plus et donne la liberté de diversifier son expérience de danse... Prenons l’exemple du patinage artistique : un débutant qui apprend un minimum à se débrouiller sur la glace peut se dire déjà satisfait de ce qu’il a atteint comme objectif ; or ce qu’il ignore c’est qu’en maîtrisant les spins et les sauts il s’amuserait d’autant plus. La seule façon d’éprouver cette sensation est d'y mettre le temps et l'effort.

Ainsi, le plaisir et la maîtrise ne se placent pas en opposition mais bien comme deux notions évoluant parallèlement et proportionnellement.

Rappelons un principe universel : la danse est une discipline sportive et artistique. Le côté sportif se définit par la technique et la maîtrise de son corps, et la dimension artistique (conditionnée par l’acquisition des principes techniques) par une liberté, une possibilité de s’exprimer et d’être créatif. Insistons sur ce point : l’aspect artistique ne peut justifier une absence de technique ou le rejet de celle-ci.

En effet, chaque discipline artistique repose sur une technique identifiable et caractéristique ; il appartient en revanche aux artistes de décider de dépasser celle-ci une fois qu’elle est suffisamment acquise. À cette fin, l’artiste commence par apprendre les règles de base, pour pouvoir les transcender, les améliorer, en utilisant sa créativité personnelle. Prenons l’exemple de Pablo Picasso, mondialement connu pour ses oeuvres ressemblant (de sa propre confession) à des dessins d’enfants (Article du Grand Palais). L’artiste a tout d’abord acquis les techniques classiques de dessin et de peinture pour plus tard les dépasser et créer son « style ». Comme il le révèle lui-même : « A douze ans je dessinais comme Raphaël. J'ai mis des années à dessiner comme un enfant ». En effet, c'est la maîtrise exceptionnelle de la composition et des relations chromatiques qui ont permis à Picasso de produire des chefs-d'oeuvres pouvant évoquer des dessins d'enfant pour un oeil non-aguerri.

Le style, le dépassement des codes ne saurait exister sans un apprentissage rigoureux des principes de base. Il ne s’agit pas de nier la technique mais bien de la rendre vivante, afin qu’elle devienne personnalisée tout en restant correcte.

En danse, de même qu’en peinture, en chant, en musique ou en théâtre, sans codes techniques, un danseur ne peut développer un style convenable. Un danseur qui se refuse à apprendre des principes universels de sécurité et de bienséance ne peut que rester un mauvais danseur, et constitue un danger envers ses partenaires et envers lui-même. Rappelons également l’importance de codes techniques dans une discipline sportive : le cadre par exemple, notion de base que tout danseur se doit de respecter, n’a pas qu’une qualité esthétique mais surtout un rôle de sécurité. En effet, sans cadre, il est très facile de se blesser parfois gravement et/ou de blesser son partenaire.

Le style est donc bel et bien une notion importante en danse, mais celle-ci n’intervient que comme complément de la maîtrise des codes. Cette notion n’intervient qu’après un apprentissage rigoureux de la technique de danse.

Un autre problème régulièrement rencontré dans le milieu du 4 Temps concerne les danseurs refusant tout apprentissage de technique sous prétexte de « s’amuser ». Dans une majorité de danses de couple existantes, il existe une partie « sportive » et une partie dite « sociale » regroupant les danseurs de soirées qui ne souhaitent pas faire de compétition.

La première partie répond à des codes techniques stricts ; elle a un but exclusif puisqu’elle existe afin de discriminer ce qui est correct techniquement de ce qui ne l’est pas. La partie sociale de toute danse, quant à elle, reprend et reconnaît ces codes techniques mais les applique de façon moins stricte. Ainsi, lors d’une soirée dansante, personne ne peut interdire à un danseur de danser hors rythme ou sans cadre, mais cela reste plutôt rare dans la majorité des danses. Certaines peuvent assouplir leurs règles les plus complexes (par exemple la posture en Valse Viennoise sociale est différente de celle en Valse Viennoise sportive, car dans la première la cambrure est moins prononcée et le contact à la hanche n’est pas constant mais le principe général de posture et d’équilibre - position en V - est le même que dans la seconde) mais les codes techniques de base restent respectés (en fonction du niveau de pratique du danseur). Les individus ne respectant pas le cadre, le rythme, la connexion ou la musicalité sont souvent des débutants récemment arrivés dans le milieu de la danse, pour qui ces notions sont en cours d’acquisition.

A contrario dans le milieu du 4 Temps, le niveau de danse en soirée est très bas. Ce comportement provient avant tout de l’absence de codes construits, et ensuite de la qualité des cours dispensés.

En effet le « rock 4 temps » existe depuis des dizaines d’années sans version sportive pour l’influencer. Il en découle donc une pratique désarticulée et parfois dangereuse. Depuis plusieurs années déjà, certains acteurs se concentrent sur la construction d’un socle de compétences cohérentes, reprenant les rares bases du « rock 4 temps » qu’il était possible de garder, tout en y ajoutant des codes de danses de couple universels. Auprès de bon nombre de pratiquants de « rock 4 temps » une remise en question de leurs habitudes est difficile, malgré l’absence de reconnaissance de leur pratique par toute autre communauté de danse en plus de 60 ans... Un clivage important s’est alors créé entre le « rock 4 temps » et la « Danse 4 Temps » en construction et reconnue.

Cette situation peut s’expliquer en partie par le comportement de certains professeurs qui se revendiquent du « rock 4 temps ». Lorsque l'on construit sa propre version de pratique de danse sans formation, la tentation du « moindre effort » nous guette : en résulte une construction sans technique avérée, qui permet de danser en soirée le plus vite possible sans efforts sur la durée, et qui donc ne saurait être valorisable en comparaison avec les formations académiques. Ce type de cours est d’ailleurs encore répandu dans le « rock 4 temps » aujourd’hui et ce fonctionnement se transmet donc aux nouvelles générations de pratiquants, qui éprouvent ensuite une certaine difficulté à apprendre des principes universels auprès des représentants de la Danse 4 Temps.

Il est tout à fait normal de vouloir pratiquer sans pour autant chercher à appliquer à la lettre des principes techniques imposés dans la partie sportive d’une danse. Malheureusement le rejet de la technique ne peut que constituer un frein au développement de la discipline qui doit composer avec une majorité de personnes ne connaissant pas la danse (en l’ayant découverte sous des jours peu élégants) et finissent (s’ils développent un sens critique de la discipline) par migrer vers d’autres danses présentant des codes techniques définis et une version sociale construite sur la base de la version sportive. Afin d'encourager les pratiquants de 4 Temps à améliorer leurs compétences au sein même de ce milieu en construction, il est primordial que de plus en plus de danseurs apprennent les codes techniques et les diffusent auprès de la communauté.

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